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Nombreuses sont les plaisanteries évoquant le chat en tant qu’« Être tout puissant asservissant l’humain à l’état d’esclave ! ». Et il y en a de très drôles !
Ce qui est moins drôle, c’est de constater que l’on trouve sur internet beaucoup d’informations médiocres, injustifiables, voire alarmantes, et de mauvais conseils qui reposent sur le principe de dominance.
Les personnes prenant ces informations telles quelles sont ainsi persuadées qu’elles doivent montrer « qui est le chef » à la maison et instaurent dès lors un climat de crainte avec leur animal…
Alors voyons ensemble pourquoi les concepts de dominance et de soumission sont infondés chez le chat et n'amènent que de mauvaises interprétations quand ils sont utilisés comme justification d'un comportement.
Le concept de dominance, c’est quoi ?
La théorie de la hiérarchie provient d’une étude réalisée par le zoologiste Rudolph Shenkel sur des loups en captivité (et dont le groupe avait été créé artificiellement). (Rudolf Schenkel – « Ausdrucks-Studien an Wölfen : Gefangenschafts-Beobachtungen » 1947). Il analyse le comportement des loups et en déduit que la structure du groupe est régie par un mâle dominant appelé « Alpha ». D’après cette théorie, le loup dominant, appelé le loup “alpha”, devrait régulièrement rappeler son rang aux autres individus du groupe à travers des agressions violentes et fréquentes.
Vingt ans plus tard, L. David Mech reprend l’idée, l’amplifie par ses propres observations et vulgarise le tout dans un livre intitulé « The Wolf: The Ecology and Behavior of an Endangered Species » (1970), qui devient un best-seller. Sauf qu’il avait oublié au passage que Schenkel parlait d’un couple dominant, et pas seulement d’un mâle…
Cependant, par la suite, les observations éthologiques de loups dans leur environnement naturel (et donc à l’état sauvage) ont remis en question cette théorie, et c’est l’auteur même de la théorie de hiérarchie de dominance qui a réfuté ses propres observations : en 1999, dans un article intitulé « Alpha Status, Dominance, and Division of Labor in Wolf Packs », le zoologiste David L. Mech explique pourquoi la notion de dominance chez les loups doit être corrigée.
« La vision compétitive jusqu’alors mise en avant fait désormais place au principe d’organisation familiale. Les loups à l’état sauvage vivent et se déplacent en famille, constituée du couple parental et de leur progéniture. Les compétitions sont inexistantes (ce sont les enfants qui mangent en premier) et les bagarres plutôt rares. »
Il demandera d’ailleurs à son éditeur de ne plus publier son livre devenu best-seller, mais perdra son procès…
Malheureusement, la notion de « mâle alpha » était déjà populaire et prête à l’emploi dans la culture générale, elle a ensuite été étendue à de nombreuses espèces dont fait partie le chien. Elle a même inspiré des réflexions sur le leadership en entreprise…
La hiérarchie de dominance dans le monde animal
Dans le monde animal en général, les définitions actuelles de la hiérarchie de dominance se basent sur une ordination des relations, influencée par des facteurs biologiques, morphologiques, expériences individuelles et contexte spatio-social. Il y a principalement deux avantages à être au sommet de la hiérarchie : un accès facilité aux ressources alimentaires et surtout un meilleur succès reproductif.
Une « hiérarchie de dominance », dans laquelle un ou plusieurs individus exercent leur autorité sur les autres membres du groupe se retrouve chez de nombreux animaux vivant en groupe. Ce sont des espèces dites sociales.
Mais en réalité, une multitude de facteurs entrent en jeu, différents selon l’espèce de laquelle on parle. Il existe donc plusieurs types de hiérarchie sociale.
Chez certains oiseaux comme le fou à pieds bleus, le statut de dominant s'acquiert très tôt dans la couvée. Le bénéfice des quelques jours d'éclosion plus précoces permet à l'aîné de prendre le dessus sur son cadet, ce qui paraît logique. Mais l'aîné conserve cette attitude de dominant, même si son cadet devient plus costaud, et inversement, le cadet garde son attitude de subordination.
Chez les poules, au début, lorsqu’elles ne se connaissent pas encore, elles se battent à coups de bec pour déterminer qui mangera en premier. Après quelques jours, les comportements agressifs diminuent considérablement. Il suffit alors à celle qui ressort vainqueur des premiers combats de faire un petit geste de la tête pour que les autres poules lui laissent la voie libre. Une forme rudimentaire de rituel remplace donc la violence, et une fois l’ordre d’accès à la nourriture instauré, il ne change que très rarement. En plus d’être stable, l’ordre est souvent linéaire (si la poule A domine B et si B domine C, alors A domine C).
Un autre exemple est celui de grands groupes tels que les bovidés (bovins, antilopes, gazelles…) où la hiérarchie rend à la fois le groupe et les individus plus aptes à survivre. Lors d’une disette, si la nourriture est partagée équitablement, c’est le groupe entier qui risque de disparaître. Grâce à l’ordre de passage, lors de périodes difficiles, les subordonnés meurent, mais au moins quelques-uns parmi les dominants survivent. Le groupe peut alors se reproduire. L’avantage grégaire est également de se protéger contre les dangers : individuellement, un membre du groupe devient alors une proie facile. Le subordonné a donc plus de chances de survivre s’il reste dans le groupe tout en évitant les combats avec les plus forts que lui. Les dominants n’ont, pour leur part, aucun avantage à tuer les subordonnés, car ceux-ci peuvent accomplir un grand nombre de tâches (garde des petits, collecte de nourriture, …). Pour les individus en bas de la hiérarchie, la coopération peut être essentielle pour obtenir des avantages et assurer leur survie.
Et les chats dans tout ça ?
Ce concept, qui a la dent très dure dans le monde canin et qui justifie la méthode de dressage coercitif (éducation basée sur une relation de force et de peur), s’est malheureusement répandu dans le monde félin… Il m’arrive souvent lors de consultations d’entendre des adoptants qualifier leur chat, ou l’un d’entre eux, de « dominant ».
Or il se trouve que, le saviez-vous, le chat n’est pas un chien, et encore moins un loup ! L’ancêtre du chat domestique est une espèce non sociale et majoritairement solitaire. Cela veut dire qu’à l’état naturel, les félins ne se regroupent que pour s’accoupler et pour l’éducation des petits. Le chat n’a donc pas de structure hiérarchique ce qui signifie que par définition il n’est ni dominant ni soumis.
Le chat que nous connaissons aujourd’hui a conservé ce caractère solitaire, bien que des différences apparaissent selon l’environnement dans lequel il vit. Certains chats ont un mode de vie totalement solitaire, d’autres se regroupent et ont de nombreuses interactions avec leurs congénères, selon certains facteurs écologiques (habitation, alimentation…) et facteurs individuels (tempérament, histoire, apprentissages et tolérance à d’autres congénères). Retenons en tout cas que le chat étant doué d’une très forte plasticité comportementale, il est capable de s’adapter à de nombreux environnements.
Mon chat est-il réellement le chef ?
Nous l’avons vu, le chat est lui aussi victime du concept de dominance et de soumission, alors que c’est une espèce dite solitaire : ne cherchant pas à intégrer un groupe structuré, aucune forme de hiérarchie n’est possible.
La relation avec l’humain
J’ai pu lire dans des articles soi-disant sérieux, que : « Un chat dominant présente des signes bien particuliers, dont les plus fréquents sont les suivants : de la malpropreté ; des marquages urinaires fréquents ; des griffades répétitives et sans raison apparente ; des morsures fréquentes ; une agressivité omniprésente y compris à l’égard de son maître(…) ; un état de stress parfois important ; une personnalité très envahissante.
La dominance chez le chat est instinctive (…), mais inacceptable quand le chat se montre dominant vis-à-vis des humains.
Il faut remettre les choses en place afin de ne pas se laisser commander par son animal de compagnie (…). Il faut (…) rétablir la hiérarchie afin que le maître retrouve sa vraie place, (…) ».
Ouille ! Aïe ! Oulala ! (Et ce n’est pas le pire de ce que j’ai pu lire… Mais je ferai probablement un autre article au sujet des idées reçues, car je pourrais en écrire des pages et des pages !)
En réalité, ces comportements ne sont pas du tout justifiés par le concept de domination, et la façon de les régler encore moins ! Alors reprenons juste ces « signes particuliers » point par point !
Premièrement, le terme de « malpropreté » n’existe pas. Si un chat fait ses besoins hors litière, il est probable qu’il ait un souci médical. La première chose à faire est donc d’aller consulter un vétérinaire. Cela peut être un signe d’anxiété. Il se peut également que l’environnement où il est censé éliminer (bac à litière) ne lui convienne pas. Ou encore, il se peut qu’il ait été stressé par un événement (déménagement, travaux, vacances, présence d’un autre chat…) ou par la relation délétère avec son humain... Le marquage urinaire est également possible chez les chats non stérilisés (marquage urinaire d’origine sexuelle). Bref ! Autant d’explications qui peuvent mettre en lumière ce comportement « indésirable ».
Les griffades répétitives : là encore, il ne s’agit pas de domination ou de "faire exprès" pour embêter. Ce comportement est tout à fait naturel chez le chat ! Il a pour fonction de communiquer : il dépose un marquage visuel et olfactif pour lui-même ou ses cohabitants en différents endroits. Il laisse des molécules odorantes à l’aide de ses coussinets à des endroits de griffades stratégiques qui se situent souvent près des litières, de la zone de couchage, des zones de passage, bref, les lieux les plus visibles et empruntés par le chat. Il le fait également pour se débarrasser des étuis cornés usés. Ce faisant, cela lui permet de s’étirer. Parfois, il peut s’agir d’un chat anxieux, soit parce que la cohabitation avec d’autres chats se passe mal, soit parce que l’environnement est perturbé et le stresse. Ne parvenant plus à trouver ses repères, il va alors griffer de façon « anormale ». Il y a donc bien des raisons apparentes !
Des morsures ou une agressivité omniprésente est souvent le fait de l’humain. La morsure est un signal d’inconfort utilisé pour échapper à une situation désagréable (par exemple être porté, être trop caressé, trop sollicité, trop puni…). En mordant, le chat fait simplement comprendre qu’il est mal à l’aise et qu’il veut que la situation cesse. Des signaux d’avertissement sont souvent émis avant le passage à l’« agression » proprement dite, qui n’ont pas été pris en compte (battement de la queue de droite à gauche et de plus en plus fort, oreilles vers l’arrière, pupilles dilatées, …)
Une « personnalité très envahissante » peut être simplement le signe que le chat apprécie d’être auprès de ses humains. Mais il se peut aussi que le chat souffre de dépendance, ce qui encore une fois est souvent une problématique due à la relation que l’adoptant a induite avec son chat, l’humain ayant renforcé certains comportements par inadvertance.
Quant à « rétablir la hiérarchie afin que le maître retrouve sa vraie place », il se trouve que la théorie de la dominance n’est en aucun cas applicable dans une relation inter-espèce, donc entre le chat et l’humain (ou tout autre espèce). Toutes les études scientifiques s’accordent sur le sujet : la domination interspécifique, c’est-à-dire entre des espèces différentes, est impossible. Une poule va-t-elle tenter de dominer un renard, de le commander ? Nous ne sommes pas des chats, n’avons pas les mêmes modes de communication, pas les mêmes codes, pas la même socialité, pas les mêmes besoins ! Il est dès lors complètement inapproprié de tenter de « rétablir la hiérarchie afin que le maître retrouve sa vraie place », d’autant plus que cela passera souvent par des pratiques brutales, stressantes et incompréhensibles pour le chat (lire l’article sur La Punition : https://www.cattitudes.ch/post/punition-chat).
La relation entre congénères
Nous l’avons vu, il n’y a pas non plus de domination intraspécifique (entre chats), puisque le chat est une espèce dite solitaire et qu’une hiérarchie de dominance n’est donc pas possible.
Si vous avez plusieurs félins à la maison, il se peut que l’un de vos chats soit parfois prioritaire sur les autres, par exemple pour obtenir une place sur l’arbre à chat ; quand le repas est servi, il mange en premier ; il va chasser l’autre du lit ou du canapé pour avoir les faveurs de l’adoptant en présence, etc.
En fait, les chats ont appris, au fur et à mesure de leur domestication, à vivre au contact de l’humain. En revanche, le partage de ressources avec les congénères n’est pas toujours évident. Deux chats peuvent ainsi convoiter la même ressource (nourriture, eau, lieu de repos, lieu d’élimination, domaine vital, etc.).
Pour savoir lequel obtiendra la ressource convoitée en premier, des disputes peuvent éclater, à grand coup de feulements, de vocalises et de griffades. La plupart du temps, l’un des chats cède tout simplement sa place à l’autre.
D’ailleurs, selon la ressource, ce n’est pas toujours le même chat qui y aura accès en premier. L’accès privilégié aux ressources n’est pas figé. On parle alors de motivation supérieure à obtenir une ressource à un instant T et dans un contexte bien précis. Ainsi, au fil des semaines, vous pouvez assister à une évolution des équilibres et des rituels. C’est bien la preuve qu’aucun statu quo hiérarchique n’existe entre nos félins.
Outre les capacités individuelles de sociabilité de chaque chat, l’environnement proposé par les humains sera prépondérant pour prévenir les troubles de cohabitation, par exemple en mettant à disposition plusieurs gamelles, paniers, litières, accès en hauteur… Au lieu de se concentrer sur des notions dépassées de dominance, une cohabitation harmonieuse entre les animaux doit être organisée autour de la multiplication des ressources et de l’enrichissement de l’environnement.
Conclusion
Le concept de dominance ayant la dent dure, il conduit souvent certaines personnes à penser qu'il faut recourir à la force ou à la coercition pour modifier certains comportements indésirables. Pourtant, comme vu précédemment au travers de différents exemples, une hiérarchie de dominance ne s’applique qu’au sein d’une même espèce !
En fait, la plupart des comportements indésirables que les adoptants souhaitent modifier sont des comportements qui ont été reproduits par l’animal plutôt parce qu'ils ont été récompensés par inadvertance et parce que d'autres comportements appropriés n'ont pas été appris ou renforcés positivement à la place.
La modification du comportement doit se concentrer sur le renforcement des comportements souhaitables, en évitant le renforcement des comportements indésirables, et en s'efforçant de traiter l'état émotionnel sous-jacent et les motivations, y compris les facteurs médicaux qui sont souvent à l'origine du comportement indésirable.
Entre chats, avoir la priorité sur une ressource va dépendre de nombreux facteurs comme le tempérament du chat, sa motivation, son historique et ses apprentissages, et surtout le contexte et le moment.
Pour finir, comprendre le « langage » de son chat, qui se compose d’un grand nombre d’expressions, de postures, d’attitudes et de sons, permettra d’anticiper ses comportements. Au quotidien, être à l’écoute de son compagnon permettra de lui éviter bien des stress, de comprendre comment améliorer ses conditions de vie et de vivre en bonne harmonie avec lui !
Et si vous rencontrez des problèmes avec votre chat et que vous sentez désemparé, le mieux encore de faire appel à un comportementaliste spécialiste du chat ! 😉
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